L'article
Dans les deux premiers volets de ce dossier, nous avons balayé les tendances majeures qui transforment le marketing et la vente : l’IA générative, bien entendu, mais aussi la vidéo courte qui envahit le B2B ou encore l’appétence des décideurs pour les contenus plus humains, plus authentiques, sans novlangue et sans langue de bois.
Mais ces tendances marketing ne prennent leur sens que dans le prisme des réalités du terrain. Comment élaborer et déployer une stratégie d’acquisition pertinente sans une compréhension fine des dynamiques du secteur d’activité en question ?
C’est pourquoi nous avons donné la parole aux experts des différentes rédactions d’Infopro Digital. Dans ce troisième volet, nous vous livrons leur vision sur quatre secteurs phares de l’économie française : les collectivités, l’industrie, l’automobile et la distribution.
Collectivités : la dissolution, la transition écologique et la dette publique
Romain Mazon, rédacteur en chef de la Gazette des communes, identifie trois événements majeurs dans l’actualité des collectivités, à commencer par la dissolution de l’Assemblée nationale au mois de juin, qui produit encore ses effets. Cet événement politique majeur a eu des effets considérables sur les décisions politiques locales, notamment en ralentissant les projets qui nécessitent des arbitrages parlementaires.
Concrètement, les circuits traditionnels de financement sont (plus ou moins) bloqués, les relais parlementaires habituels sont perturbés et les collectivités doivent repenser leurs réseaux d’influence pour faire avancer leurs projets.
Ensuite, la transition écologique s’impose plus que jamais comme une priorité absolue avec un renforcement de l’arsenal juridique et face au retard pris sur les objectifs de décarbonation. Les collectivités concentrent leurs efforts sur deux leviers : la rénovation énergétique des bâtiments publics et le déploiement d’infrastructures d’énergies renouvelables sur leurs territoires.
Mais les incertitudes sur les prochaines lois de finances créent une tension budgétaire qui aggrave un autre problème structurel : les collectivités peinent déjà à recruter face à un secteur privé qui offre de meilleures rémunérations. Pour attirer les profils techniques indispensables à leur transformation écologique et numérique, elles tentent de valoriser leur mission d’intérêt général, mais la marque employeur peine à compenser l’écart salarial.
L’Intelligence Artificielle apporte un début de solution, notamment avec les expérimentations prometteuses dans la gestion de l’eau et l’optimisation énergétique. Mais son déploiement se heurte à deux obstacles majeurs : la résistance des agents qui craignent (légitimement pour une part) pour leurs postes, et la méfiance des citoyens envers une technologie qui n’a pas toujours bonne publicité. Enfin, 2025, année préélectorale, verra une intensification de la commande publique locale, conformément au cycle électoral habituel qui alterne entre des phases actives d’investissement (avant les élections) et des phases de ralentissement post-scrutin. Les contraintes budgétaires obligeront cependant les élus à faire des arbitrages difficiles en matière d’investissement.
Industrie : décarbonation, innovation avec l’IA générative et réindustrialisation
Emmanuel Duteil, directeur des rédactions du pôle Industrie chez Infopro Digital, dresse un tableau contrasté de l’industrie française. Bien qu’engagée, la réindustrialisation montre des résultats mitigés avec une réalité mathématique préoccupante : le nombre d’usines fermées reste supérieur aux nouvelles ouvertures.
Premier impératif : la décarbonation des sites industriels, notamment via l’électrification. Cette transformation touche l’ensemble de l’appareil productif français et demande des investissements massifs pour adapter les lignes de production existantes.
Les avancées technologiques imposent simultanément une modernisation sur quatre fronts : renforcement de la cybersécurité pour protéger un outil de production de plus en plus connecté, migration des données vers le Cloud, déploiement de capteurs IoT sur les chaînes de fabrication et intégration de l’IA générative dans les processus industriels.
Mais là encore, le manque de moyens financiers ralentit ces transformations indispensables. Les dispositifs publics de soutien à l’investissement se réduisent dans un contexte budgétaire tendu, alors même que la France doit garantir son indépendance dans l’alimentaire, le pharmaceutique et les nouvelles technologies.
Face à ce défi, les investisseurs étrangers représentent un levier décisif, et leur présence continue démontre l’attractivité de la France… encore faut-il flécher les capitaux vers les secteurs porteurs d’avenir.
Automobile : l’électrification et la domination chinoise
Pour Christophe Carignano, directeur des rédactions du pôle Automobile chez Infopro Digital, l’industrie automobile traverse une transformation sans précédent marquée par trois défis majeurs : l’électrification forcée du marché, la domination technologique chinoise et les limites du pouvoir d’achat des consommateurs.
La réglementation CAFE impose 25% de véhicules électriques dans le mix produit, mais le marché peine à suivre : avec des prix qui oscillent entre 30 000 et 40 000 euros, les véhicules électriques restent inaccessibles pour la majorité des acheteurs. Cette situation pousse les constructeurs à demander un report des contraintes réglementaires.
Dans ce contexte, les consommateurs privilégient toujours l’hybride, une technologie de transition mieux adaptée aux infrastructures et aux usages actuels. Mais cette solution intermédiaire ne répond pas aux objectifs européens de décarbonation.
Avec une décennie d’avance sur les batteries et la production de véhicules électriques, la Chine domine outrageusement le marché grâce à des constructeurs comme BYD. Cette avance technologique et industrielle menace directement les constructeurs européens, qui doivent aujourd’hui investir massivement pour rattraper leur retard.
En 2025, des négociations intenses s’annoncent entre les constructeurs, les lobbies environnementaux et la Commission européenne pour ajuster les objectifs aux réalités du marché et au pouvoir d’achat des consommateurs. En parallèle, de nouvelles normes européennes vont accélérer la connectivité automobile (et ajouter une couche supplémentaire d’investissements).
Distribution : l’inflation bouleverse tous les repères
Yves Puget, directeur de la rédaction du magazine LSA, identifie trois marqueurs qui bouleversent la distribution en 2024. L’inflation a fait bondir les prix alimentaires de 20 % en deux ans. La consommation devient erratique, les consommateurs fragmentent leurs achats, multiplient les enseignes et basent leur comportement d’achat sur la variable du prix. Dans ce contexte, les prévisions commerciales deviennent très complexes et perdent en fiabilité.
En 2025, le retail va devoir se recentrer sur quatre fondamentaux : des prix compétitifs, l’innovation, la qualité de l’assortiment et l’excellence en magasin. Ce mouvement de « back to the basics » est d’autant plus nécessaire que les écarts continuent de se creuser entre les retailers :
- D’un côté, les enseignes qui brillent sur l’opérationnel et investissent dans leurs points de vente et leur service client ;
- De l’autre, celles qui décrochent, remplacées par de nouveaux entrants dans un paysage commercial qui se renouvelle.
La difficulté à recruter continuera de prévaloir en 2025, exacerbée par l’image de marque affaiblie chez certaines enseignes historiques.
Enfin, et malgré l’inflation, les tensions géopolitiques et l’héritage Covid, le plaisir reste le premier moteur de consommation, parfois à rebours des discours sur le durable ou le bio. Place aux découvertes gourmandes, aux moments de partage et aux petites satisfactions du quotidien. Et il y a un signe qui ne trompe pas : la meilleure innovation de l’année 2024 est une glace réalisée par une célèbre marque de pâte à tartiner. Le consommateur 2024 n’a peut-être pas les poches bien profondes, mais il a la tête pleine d’envies. Et il assume !